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La Belle Juliette – une conversation avec Anne Gelbard

Interrogée récemment par le magazine Interiors, Anne a donné des réponses intéressantes aux questions de la journaliste. De quoi vous aider à vraiment comprendre sa démarche de décoratrice et l’évolution du projet…

Anne Gelbard et La Belle Juliette en 7 questions
(pour voir l’article illustré du magazine, cliquez ici).

1 – Comment en êtes-vous venue à participer à ce projet ?

D’une rencontre, Alain Bisotti du label Hôtel Paris Rive Gauche m’a rencontrée sur Scènes d’Intérieur (Salon Maison & Objet à Paris) où je présente ma collection Maison issue de mon travail pour la Haute Couture; il m’a ensuite présenté à Corinne et Pascal Moncelli (propriétaires de La Belle Juliette) et de discussion en conversation nous en sommes venus à collaborer à la naissance (ou plutôt la renaissance) de leur nouvel hôtel. Cette rencontre s’est faite très simplement avec beaucoup de connivence, d’échange et de confiance.

2 – Avez-vous un attachement particulier avec Juliette Récamier ?

C’est Corinne qui a un attachement pour cette héroïne du 19ème siècle et elle me l’a faite découvrir. Bien sûr, Juliette Récamier a une certaine renommée mais elle n’est pas vraiment connue pour ce qu’elle était. Je l’ai donc vraiment découverte pour concevoir l’hôtel, il me fallait rentrer dans son époque, dans sa vie, un peu comme une actrice qui doit rentrer dans la peau d’un personnage. Mon sentiment pour elle évolue tout le temps car ce fut bien sûr une image d’Epinal (la plus belle femme de son temps) mais aussi une véritable femme d’affaire (un peu précurseur du marketing ou public relation).

3 – Certaines des conceptions que vous avez choisies sont contemporaines. N’y a-t-il pas un décalage avec l’époque de Juliette ?

C’est une époque très forte, la société a éclaté, de nouveaux repères sont à construire. Ce sont les lendemains de la terreur. La pensée, le design, la façon de se vêtir, de vivre sont en perpétuel mouvement. Les références grecques, la république, démocratie sont des bases de construction pour une nouvelle ligne de vie, une nouvelle esthétique. Les mœurs sont très libres, il ne faut pas oublier que la mort, la violence ont été très proches. Ce qui nous paraît ancien, le style Directoire, a été, pour l’époque novateur. Et Juliette Récamier avec Joséphine de Beauharnais ont été considérées comme lanceuses de mode. Il m’a donc paru logique, évident, pour ne pas trahir Juliette, d’y insuffler soit de vraies références de design contemporains comme le fauteuil Risome ou la table Saarienen soit de nouvelles pointures du design actuel comme Arilx Levy ou sam baron. Je ne suis pas là pour plagier une époque mais pour comprendre un personnage. Cela m’a aussi permis de faire appel à de jeunes artistes plasticiens ou photographe comme Elene Usdin ou Valentine Fournier ou Marie Maurel du Maillé qui vont nous donner leur vision de Juliette.

croquis d'Anne Gelbard

4 – Pouvez-vous décrire ce qu’étaient votre inspiration et vos désirs en créant la décoration de l’hôtel ?

Chaque étage est un élément fort de la vie de Juliette, soit des personnages clefs comme Madame de Staël sa meilleur amie et mentor ou Chateaubriand le grand amour de sa vie soit des moments de vie comme l’Italie, terre d’accueil, rencontre culturelles et politiques pour les exilés de Napoléon, Bonaparte ou bien les salons littéraires, les causeries très en vogue et dont celui de Juliette était le plus couru et le plus brillant.
Ces thèmes sont répartis sur les 4 étages où se trouvent les chambres.

Vous commencerez au premier étage par connaître Juliette Récamier, pour qui j’ai voulu une couleur très sobre, monochrome (elle se paraît tout de blanc et se vêtit de même jusqu’à la fin de sa vie) et Madame de Staël, personnalité très forte qui sera représentée par des couleurs soutenues et contrastées.

Le deuxième étage s’inspire de l’Italie, on y parle de mouvements, de longs voyages à voiture, à cheval. Cela explique la sobriété des matériaux, la sobriété des styles. L’accent est mis sur les murs, couleur de ciel ou avec de grandes fresques suggérant des paysages imaginaires perdus dans la brume.

Le troisième étage, dédié à Chateaubriand, se déploie comme ses mémoires d’outre-tombe, étage plus masculin.
Le quatrième étage, nommé Les Causeries, représente la vie sociale et parle de certains personnages phare de l’époque, chercheurs, philosophe, acteurs, artistes ou cocottes (Merveilleuses). C’est le plus classique dans sa représentation, lourds rideaux, moulures en stuc et fauteuils anciens (fauteuil de l’ancien hôtel qui ont été complètement transformés par Ludovic Avenel).

croquis d'Anne Gelbard

Le rez de chaussée est aussi conçu comme une maison, l’antichambre ou salon des voyageurs qui sera un lieu d’expositions photographique (le label HPRG est mécène de la photographie), la réception toute ronde sera un cocon qui accueillera les clients, le bar Le Talma en hommage au célèbre acteur, ami de Juliette, qui animait souvent son salon, le salon de musique puis la bibliothèque. Chaque espace est pensé comme un lieu de vie. L’idée est de donner l’impression d’entrer dans l’hôtel particulier de Juliette et de s’y sentir chez soi et non dans un hôtel.

Le spa est une déambulation poétique, comme un jardin secret, les bains grecs, les grottes reconstituées de l’époque. Grâce à la fresque « le jardin extraordinaire » de Jean Boggio pour Frantz, on découvrira un lieu posé, calme, magnifié par ce paysage en céramique.

Même si chaque étage est conçu pour représenter des symboles fondamentaux de la vie de Juliette, j’ai voulu chaque détail « comme chez soi », rassurant confortable. J’ai souhaité questionner, surprendre et reposer le voyageur. Pour moi, nous sommes chez Juliette, du moins, ma vision de chez Juliette.

5 – A quoi ressemblait le bâtiment quand vous avez commencé ?

Une façade sublime et impressionnante, un intérieur fané et cette étrange disposition toute en longueur qui en fait un immeuble si particulier, comme un livre d’image.

6 – Y avait-il des défis spécifiques que vous avez relevés ? Des moments spéciaux ?

Challenges particuliers, oui !!! C’était la première fois que l’on me demandait de concevoir un volume pérenne, un décor à vivre. Etre sure que son idée de papier, sa maquette de poupée soit le reflet de sa pensée. Des moments exceptionnels, beaucoup, dont un en particulier : un week end à Bruxelles fait de rire, de batailles de boules de neiges, de délicieux repas où nous avons, comme des enfants curieux de tout, chinés des meubles et objets sous 20 centimètres de neige. Tous ensemble, Vincent Bastie, architecte associé au projet, Corinne et Pascal Moncelli, Alain Bisotti et enfin Emilie Corre qui m’a aidé à traduire mes idées et surtout m’a servi de traductrice. Car ne connaissant que le vocabulaire de la mode, il n’était pas évident de passer au langage « Archi », il fallait bien un interprète comprenant mes mots comme par exemple incruster qui pour moi voulait dire encastrer, de solides réflexes de la Mode. Chaque métier a son langage, chaque idée un volume immense, quand aux détails techniques, les finitions et j’en passe…

Sur toute la conception de ce projet, l’ambiance a été excellente, faite d’échanges, de réflexions sur l’essence sur projet, sur la forme, sur les solutions à apporter à chaque question.

7 – Qu’elle a été votre approche de l’hôtel ? Avez-vous une « signature » particulière dans votre travail ?

Mon approche, sur cet hôtel a été d’en faire un endroit, une maison rassurante et non un concept. Juliette excellait dans l’art de recevoir et j’ai donc voulu créer un cocon chaleureux pour le voyageur venu découvrir Paris.

Lieu luxueux, j’ai voulu éviter les solutions de facilités, un peu tape à l’œil, retrouver la qualité et le chic des matériaux, utiliser plutôt du papier peint à la planche, des couleurs crées sur mesure comme le vrai luxe de l’époque, frises peintes, tissus tissés sur commande. Le temps de la conception, de la réalisation était aussi un luxe que nous nous sommes accordé.

Etant du monde de la Mode et de la Haute couture, l’accord particulier, la résonance des couleurs et des matières entre elles, me sont particulièrement chers. La réponse de volume de design, la complémentarité, la surprise du mélange subtil contemporain/ancien sont aussi très important pour moi. Est-ce ma patte ? Les touches d’humour sans lesquelles la vie me semble bien plate, comme des bulles d’oxygènes. En fait, je déteste le sérieux, ennuyeux, pédant et creux… j’aime la poésie, l’imaginaire. Avec Corinne et Pascal Moncelli, l’entente a été tout simplement parfaite. Ce sont des personnes concrètes, ouvertes, simples avec des mots justes qui font avancer. Avec Alain Bisotti, chacun est impliqué humainement, également dans le projet. C’est un hôtel, qui parle de cœur.

Les très fortes contraintes et le cahier des charges lourd liés à l’exploitation d’un hôtel ont été juste des gardes fous. J’ai fait mienne une phrase dite par un de mes professeur de lettres : « Dépasser les contraintes est la plus grande des libertés ».

J’ai juste la sensation d’avoir commencé par le meilleur : un thème passionnant, une grande liberté et confiance, des clients en or, drôles, adorables… et les pieds sur terre. Je souhaite que les voyageurs, ressentent cette ambiance lors de leur séjour à La Belle Juliette.